Yamoussoukro mon amour ! (info # 011202/3)
Par Nidra Poller à Paris© Metula News Agency
J’ai des liens affectifs avec la Côte d’Ivoire. Une histoire d’amour déçu.
Je connais personnellement le président actuel de la Côte d’Ivoire, Laurent
Gbagbo. Voici d’ailleurs un scoop : son nom se dit tout simplement « Babo. »
Les « g » ne se prononcent pas en Côte d’Ivoire et le fait qu’aucun
journaliste français n’a fait l’effort de cueillir ce petit brin d’information
en dit long sur l’état de nos médias. Il en sera question ici, de l’état de
nos médias et de la médiatisation des faits et gestes de l’Etat français
face à cette crise majeure dans un pays africain, où sont installés quelques
16 000 Français, que personne n’a pensé à qualifier de colons. C’est l’occasion
d’assister, en temps réel, à une démonstration exemplaire de la finesse
française adaptée à l’exercice de la politique internationale et, d’après ce
qu’on voudrait nous faire croire ici, il s’agirait d’un savoir-faire
cruellement déficient chez les Américains.
Je devrais dire j’ai connu Laurent Gbagbo car je n’ai pas fait copain-copine
avec le Président. C’est Laurent, le professeur d’histoire, col roulé, mal
rasé, coiffé en afro indiscipliné, la voix rouée de tristesse, que j’ai
connu au début des années 80. Obligé de fuir son pays, comme tant d’intellectuels
africains menacés de mort pour avoir exprimé une opinion. N’importe quelle
opinion, d’ailleurs ! Les présidents à vie des indépendances ne souffraient
alors aucune expression d’opinion. Pour ne pas se fatiguer à faire le tri
entre les bonnes, les moyennes et les mauvaises, ils les exorcisaient
toutes. Il faut savoir canaliser les énergies si on veut vivre longtemps en
demeurant président en Afrique ! Laurent, professeur, auteur et un peu homme
politique dans une opposition qui n’existait pas, vivait un exil ingrat, ici
à Paris, car figurez-vous, les droits de l’hommistes ne se souciaient guère
des victimes de Houphouët-Boigny. On leur disait : « la Côte d’Ivoire ce n’est
pas la Guinée-Sekou Touré voyons ! » Un peu comme on nous dit maintenant qu’une
poignée de synagogues brûlées ne fait pas une Kristallnacht.
Je naviguais alors dans ces eaux africaines, antillaises, noir américaines,
je côtoyais des musiciens et des écrivains célèbres, ratés, ou prometteurs,
je partageais les peines et les joies de mes amis noirs, en leur laissant l’exclusivité
du temps de parole afin qu’ils expriment leurs doléances et autres
énumérations de droits bafoués.
Le meilleur, le plus fin, le plus élégant et intelligent, le plus
authentique, le plus traditionnel, le plus moderne, c’était NXE. Ce
journaliste, brillant, dont la carrière exceptionnelle fut brisée par la
colère du Grand Chef, a fini par rentrer en Afrique. par amour pour sa
terre, disait-il, et parce qu’il ne supportait pas le racisme français, et
encore parce que nos médias français – les mêmes qui assassinent aujourd’hui
mon identité juive au nom des damnés de la terre – n’avaient pas de place
pour un génie ivoirien. Je pourrais donner des noms mais il vaut mieux ne
pas exciter les vipères à l’heure qu’il est. C’est par NXE que j’ai connu
Laurent Gbagbo. Chacun à son tour, confiné dans exil imposé, puis rentré en
Côte d’Ivoire, avec la différence que NXE est mort dans un accident de
voiture à l’africaine et Laurent est encore président.
Je l’ai croisé un jour, Laurent, à l’aéroport de Roissy, en costume de
dignitaire à fines rayures blanches, rasé de près, les cheveux rentrés dans
l’ordre, la silhouette affinée, le même sourire attendrissant, innocent. On
commençait à parler de lui comme leader d’un parti qui compte, il a adhéré,
si je ne me trompe, à l’un de ces gouvernements douteux de la période
trouble. Je suivais sa carrière, de loin, sans pouvoir juger du bien fondé
de la déception ressentie par nos amis d’autrefois: les intellectuels sont
rarement contents quand leurs pairs sont au pouvoir !
La première Guerre du Golfe a bouleversé mon paysage social. Mon African
connection n’y a résisté que partiellement. Je restais pourtant à me faire
des soucis pour mes amis, à l’époque où la Côte d’Ivoire semblait tomber
dans une spirale de coups d’Etat, suivant vaguement le contentieux avec
Alissane Ouattera, mais mon attention se focalisait de plus en plus sur une
question que j’avais crue réglée une fois pour toutes en Europe : la
question juive.
Et l’Afrique, que j’ai tant aimée, jalouse de mes autres préoccupations, s’est
réveillée en me donnant des gifles. Durban, certainement, mais aussi le
soutien quasi-unanime pour les thèses radicalement antisionistes de la part
des journalistes, notables, intellectuels, étudiants, reçus désormais à bras
ouverts par les mêmes médias qui ne voulaient pas de NXE. Aujourd’hui les
Africains hurlent avec les loups et mes amis africains n’ont pas un mot, pas
une pensée pour moi. Ni la montée de l’antisémitisme, ni les attentats du 11
septembre n’ont provoqué la moindre manifestation de leur part. Preuve que
je n’existais pas pour eux comme juive ou comme américaine mais uniquement
comme sympathisante de leur cause.
Et voilà, qu’à quelques semaines de l’opération militaire en Iraq, le
conflit en Côte d’Ivoire nous offre une démonstration inouïe de la mise en
ouvre de la politique internationale française. Exemple éblouissant s’il en
fut ! Comme d’habitude, c’est par la radio que je prends le pouls de la
République.
Les rebelles prennent les armes, il y a des accrochages, l’armée française
débarque, décrète le cessez le feu, se positionne sur la ligne de
démarcation, alors je dresse l’oreille. On tend la micro au chef des
rebelles, on colporte des rumeurs de fosses communes, des mercenaires venus
prêter mains fortes aux loyalistes, et surtout, on empêche le gouvernement
élu du président, mon ami Laurent Gbagbo, d’avancer pour écraser la
rébellion. J’apprends, lors d’une émission de la presse africaine sur RFI,
que la rébellion est soutenue par Khadafi, les pourparlers de paix à Lomé c’est
Khadafi qui en est l’architecte et le propriétaire de l’hôtel où ils se
déroulent, c’est, vous l’aurez deviné, lecteurs avisés de la Ména, encore
Khadafi. En dehors de ces vérités qui nous parviennent par bribes, on n’a
droit qu’à une version épurée des informations sur le conflit. (La relation
des événements de Côte d’Ivoire, telle qu’elle est proposée par les médias
audiovisuels français est absolument et volontairement inintelligible Ndlr.)
La position française est claire : non à la guerre ! Il faut régler le
conflit par la négociation (et je me dis que les rebelles, pendant ce temps,
s’installent, le pays est divisé, les armes et les guerriers peuvent s’infiltrer
tranquillement.). Malgré le tout Khadafi, malgré le CDAO et les chefs d’Etats
plus sages les uns que les autres, les pourparlers sont bloqués. Les troupes
de Laurent font un pas de côté, les autorités françaises tapent sur les
doigts des loyalistes. Un nouveau vocabulaire médiatique ad hoc se met en
place. Le président élu, l’Etat souverain, la démocratie même disparaissent
pour laisser place à un conflit entre rebelles et loyalistes. Deux
communautés qui s’affrontent quoi ! Chacun a ses raisons, la France a
toujours raison et l’enchaînement se termine par une invitation au Château.
Vous connaissez la partition. Il faut retourner à la table des négociations,
ne pas envenimer la situation en ripostant aux attaques avec force -
excessive, par définition -, la communauté internationale doit intervenir.
Une conférence internationale -à Paris of course- s’impose ! Laurent ne peut
pas faire comme Arik. Il doit accepter l’invitation et j’ai de la peine pour
lui. J’aimerais l’inviter à dîner comme autrefois mais je sais qu’on ne le
laisserait pas quitter le château. Les dépêches tombent en langue de bois
intégrale : tout se passe à merveille à Marcoussis, le problème est en gros
réglé, restent quelques détails et à mettre le champagne au frais. Les
rebelles sont devenus les forces nouvelles. Et pourquoi pas, si le Hezbollah
est bien, pour la France, un important organisme de bienfaisance ! Des
forces nouvelles contre les loyalistes, tiens, on sera presque tenté de
choisir les premiers, loyalistes ça fait un peu vieux jeu, non ?
Des dépêches dégoulinantes de complaisance tombent et se suivent. Un petit
contrecoup cependant, le président de l’assemblée ivoirienne quitte le
château en claquant la porte. Surprenante anicroche, alors qu’officiellement
tout s’arrange pour le mieux : on parle d’un gouvernement d’union nationale,
d’ élections anticipées et d’autres raffinements du même genre. La carte de
séjour est supprimée, les lois foncières réécrites. Je ne nie pas qu’il
existe des vrais problèmes sous-jacents, des injustices faites aux
Burkinabés et tout le reste. mais le Burkina Fasso prend de drôles de
positions de nos jours et tout cela commence à nous rappeler la situation
nigériane.
On attend Kofi Annan, on attend le président Gebagebo, des chefs d’Etat
divers, la photo sur le parvis. Les trompettes sonnent à tous vents. Sur
RFI, c’est tout juste si on n’annonce pas en toutes lettres le pied de nez à
Bush : nya nya nya tu vois, péquenot-cowboy, c’est comme ça qu’on fait de la
vraie diplomatie !
Soudain le centre de gravité passe de Marcoussis à Kléber, où l’on apprend
que Laurent a été dépouillé de tout sauf son nom écorché. On lui impose un
Premier ministre rebelle, la France attribue les ministères de la défense et
de l’intérieur aux forces nouvelles, tout le reste, tout ce qui compte, à
son opposition et on lui laisse les caisses vides et l’armée démilitarisée.
Les forces nouvelles, interviewées comme elles le méritent, annoncent qu’elle
viendront nombreuses avec armes et bagages protéger leur ministres à
Abidjan. Il y a justement un peu de grabuge à Abidjan, on se demande
pourquoi, et on essaie de faire croire que Laurent a sauté le déjeuner pour
sauter plutôt dans un avion afin de calmer les esprits et de commencer au
plus vite sa nouvelle vie.
Je me demande, quant à moi, s’il ne s’est pas sauvé encore une fois pour s’éloigner
d’un tyran en colère ?
A présent on essaie de le finir. Tantôt en le sommant solennellement de se
prononcer clairement pour la réconciliation et de mettre en place le nouveau
gouvernement, tantôt en lui envoyant des flèches empoisonnées. Qui sait ici
que Laurent Gebagebo est l’auteur de Côte d’Ivoire : économie et société à
la veille de l’indépendance (1940-1960), Côte d’Ivoire : pour une
alternative démocratique, Soundjata, Lion du Manding ? Entre temps, si je
comprends bien, il n’a plus d’armée. Leçon à méditer. J’ai appris par une
source fiable, qu’une publicité parue dans le Washington Post, quelques
jours après la signature des accords (désaccords ?) de Marcoussis, supplie
les Américains d’intervenir et de protéger le gouvernement légitime. J’ai
perdu mon souffle en entendant que mon gouvernement s’est prononcé en
faveur de leur application. Mais ouf ! Le commis chargé des affaires
africaines à Washington a enfin réussi à joindre le chef, le tir est
rectifié, les Américains demandent maintenant la renégociation de l’accord.
Justement, boys, ne voyez-vous pas que cette histoire est une affaire en or
? La France, qui fait la danse du ventre sur la scène internationale, priant
clémence et miséricorde envers le misérable Saddam Hussein, la France qui
gronde et qui tonne qu’il ne faut rien régler par la force des armes et qu’on
peut tout régler dans la paix du seigneur en se mettant autour d’une table ;
la France qui ne touchera à une goutte de pétrole sans demander la
permission de l’ONU ! Cette même France, qui transforme des bandes armées en
forces nouvelles et leur donne la moitié d’un pays et les moyens de prendre
l’autre moitié, pour les récompenser d’avoir pris les armes et attaqué l’Etat
de droit. Des mommas manifestant dans la rue à Abidjan le disent avec leur
accent de Treichville : « aucun gouvernement accepte ça. »
Et la France, paisible, pacifiste et faiseuse de paix, que fait-elle quand
des bandes armées de pierres de gourdins et de machettes s’attaquent à ses
citoyens en Côte d’Ivoire, pillent leurs maisons, les malmènent, les
menacent ? Elle fait, mes chers lecteurs, le silence radio. Vous avez
droit à des directs de Jalalabad du matin au soir, quand des enragés d’Allah
promettent de brûler des Américains par milliers, aux nanas-journalistes,
qui répercuter les cris de guerre des shahidin en herbe lors des fêtes du
Hamas, mais les reportages d’Abidjan, pendant qu’elle vit ses heures les
plus dures, sont d’une rareté extrême, je dirais même, d’une insuffisance
impudique.
Air France a doublé ses vols journaliers en provenance d’Abidjan : deux à la
place d’un. Le prix aussi a doublé ! La France n’a pas les moyens d’évacuer
16 000 ressortissants si jamais le besoin s’en faisait sentir. A leur place,
j’aurais encore plus peur de l’arrivée des forces nouvelles que des
agissements des patriotes. Et Laurent, que va-t-il faire sans armée pour
défendre son pays ? On ne le dit pas trop souvent, mieux vaut, semble-t-il,
être conspué pour l’utilisation de force excessive que démoli par manque de
force adéquate.
J’espère que ça ne se terminera pas ainsi, en flash-back et certainement pas
en bain de sang. Il doit rester quelques divisions de Marines à dispatcher
en Côte d’Ivoire, en attendant la nouvelle résolution du Conseil de
Sécurité. Qu’ils viennent, qu’ils renvoient les forces nouvelles à leur
expéditeur, qu’ils parlent avec Laurent d’homme à homme : Hé mon frère, tu
ne peux décidément pas frapper ces Burkinabés sur la tête, essayons de
régler ce problème en frères ! Mais d’abord il reste des fesses à botter. Ce
ne seront pas les rebelles de Kadhafi qui vont te faire des misères, Babo !
Nidra Poller
[email protected]Source:
http://wikileaks.org/gifiles/docs/5042962_re-hello-from-stratfor-thoughts-on-cote-d-ivoire-.htmltraduit depuis le web par willsummer